Contre-collapsologie épisode 1 : le pic du phosphore

Depuis la révolution industrielle, notre civilisation ne s’est, contrairement à ce que l’on croit, jamais si bien portée : la pauvreté diminue, la faim dans le monde diminue, l’espérance de vie s’allonge et la démocratie se répand sur le globe. Notre société est de plus en plus prospère.

Mais, selon certains, cette route de la prospérité serait sur le point de se transformer en route de la misère. C’est ce que pensent les auto-proclamés « collapsologues », partisans de la célèbre « théorie de l’effondrement ». Ceux-ci affirment, avec plus ou moins de vigueur, que la civilisation contemporaine serait sur le point de s’effondrer : impact du réchauffement climatique, rupture énergétique, manque de ressources, croissance démographique exponentielle.. les arguments sont nombreux.

Selon un sondage publié le 2 décembre 2019, 58 % des français redouteraient un effondrement de notre civilisation qui pourrait arriver, comme l’affirme l’ancien ministre de l’écologie d’Europe Ecologie Les Verts Yves Cochet entre 2020 et 2040. Plus récemment, certains ont vu dans la récente pandémie du coronavirus la preuve de l’imminence de cet effondrement.

Joseph Tainter définit dans son ouvrage L’Effondrement des sociétés complexes, l’effondrement comme la « simplification rapide d’une société ». Yves Cochet, toujours, livre une citation plus précise encore : selon lui, l’effondrement serait « un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».
Mais qu’en est-il réellement ? Le sujet est clivant, complexe, anxiogène, mais nous souhaiterions ici livrer une réelle « antithèse » aux arguments les plus régulièrement avancés par les collapsologues. Le tout sur des bases factuelles et scientifiques. Ainsi livrerons-nous à travers cette série de vidéos intitulée « contre-collapsologie » des contre-arguments à la théorie de l’effondrement pour, si ce n’est l’invalider, car tel n’est pas notre objectif et nul ne sait de quoi sera fait l’avenir, à minima lourdement la nuancer.

Le pic du phosphore : qu’est-ce que c’est ?

Pour débuter cette série, nous avons choisi un sujet en apparence léger et lointain, mais en réalité central : l’agriculture, et plus particulièrement le cas du « pic du phosphore ».

Qu’est-ce que le phosphore ?

Le phosphore est une partie intégrante des processus biogéochimiques. Indispensable à la vie, il est considéré par l’ONU et par divers scientifiques comme une matière première minérale critique (au même titre que le Graphite, les terres rares ou le tantale).

Le phosphore provient de roches phosphatées transformées chimiquement. L’exploitation minière des roches phosphatées est à ce jour la seule méthode de production rentable.

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La grande majorité du phosphore est utilisé dans les engrais minéraux (80%). Il s’agit d’un élément essentiel dans leur composition. Le phosphore est donc crucial pour l’agriculture comme, plus largement, pour la vie sur Terre. D’autant plus qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de substitut. Une future pénurie de phosphore pourrait donc mettre en péril la sécurité alimentaire mondiale.

Une pénurie à venir ?

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L’explosion de la demande de phosphore est tangible depuis 1900. Les collapsologues affirment régulièrement que nous pourrions bientôt manquer de roches phosphatées. Ce qui, de fait, signifierait l’apparition de pénuries d’engrais inorganiques, et donc la fin de l’agriculture mondiale telle que nous la connaissons.

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Régulièrement, ils estiment que le pic du phosphore, autrement dit le moment où la production de phosphore atteint son maximum pour commencer à décroître lentement, pourrait avoir lieu avant 2040.

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Quel est l’état actuel de nos réserves ?

En réalité, la plupart des estimations se basent sur des données dépassées. Il y a 10 ans, nous estimions que les réserves mondiales de roches phosphatées atteignaient les 17 milliards de tonnes. Depuis, de nombreux gisements ont été découverts, notamment au Maroc.

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Aujourd’hui l’USGS, l’Institut Géologique des États-Unis, estime que les réserves mondiales atteignent les 70 milliards de tonnes.
En 2018, la production fut de 270 millions de tonnes. A ce rythme, nous disposerions de réserves pour plus de 250 années encore.

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Dans son étude, l’USGS déclare : « There are no imminent shortages of phosphate rock », soit « il n’y a pas de pénurie imminente de roches phosphatées ».

En outre, nous ne parlons ici que des réserves exploitables économiquement dès aujourd’hui. Si l’on ajoute à ce chiffre les ressources de roches phosphatées, autrement dit ce qui est considéré comme économiquement et physiquement potentiellement exploitable, on atteint le chiffre de 300 milliards de tonnes. A ce rythme, on peut encore dormir sur nos deux oreilles quelques temps. A hauteur de notre consommation actuelle, nous disposerions alors de réserves pour plus d’un millénaire.

Un pic de phosphore signifierait que la demande serait située de manière pérenne au-dessus de l’offre. De ce fait, le phosphore verrait son cours exploser. Ainsi, des gisements considérés comme inexploitables actuellement le deviendraient, stimulant la prospection minière.

Recyclage

Admettons maintenant que pour une raison ou une autre, les gisements de roches phosphatées se mettent à se tarir. Cela signifierait-il forcément la fin de la civilisation moderne. En réalité, il n’en est rien.

De la même manière qu’une pénurie de phosphore ne se produit pas du jour au lendemain, les acteurs du milieu auraient le temps de s’adapter. Mais comment pourrions-nous faire, alors ?

Une meilleure gestion de notre chaîne de production pourrait être mise en œuvre. Nous pouvons recycler le phosphore, à partir de matières fertilisantes d’origine résiduelles (de l’urine, des excréments). Recycler l’urine en engrais agricole peut paraître amusant, mais c’est très sérieusement envisagé. De nombreuses expérimentations ont déjà eu lieu, notamment près de Paris.

Par exemple, le programme Leader du plateau de Saclay finance depuis quelques années des expérimentations sur le recyclage des matières organiques en agriculture dans le cadre d’études menées par l’INRAE et la chambre d’agriculture d’Île-de-France.

Des matières plus « traditionnelles » sont également étudiés dans ce programme : composts, effluents d’élevage, digestats de méthanisation, etc.

Les premiers résultats fournis par l’INRAE indiquent que l’efficacité de cette méthode serait proche des engrais minéraux, et supérieure à des engrais organiques classiques. Un kilogramme d’azote contenu dans de l’urine aurait le même effet qu’un kilogramme d’azote d’engrais minéral. Du pain a déjà pu être récolté sur des parcelles fertilisées avec de l’urine.

Sur le plateau de Saclay, l’INRAE explique que l’urine des habitants représenterait plus du double des besoins des agriculteurs en fertilisant. Les avantages d’un tel programme de recyclage des urines sont donc évidents, dans un hypothétique contexte de tensions autour de l’approvisionnement en roches phosphatées.

Le biochar, amendement agricole issu de la pyrolyse de la biomasse, représente lui aussi un intérêt notable dans la recherche d’un « phosphore durable », augmentant la disponibilité du phosphore dans le sol, en plus de présenter d’autres avantages (ré-humification des sols, amélioration de la rétention d’eau, stimulation du système immunitaire des plantes, séquestration de dioxyde de carbone..).

Enfin, la transgenèse présente aussi certains intérêts, certains scientifiques ayant pu mettre au point des plantes capables de développer davantage leur système racinaire et ainsi de récupérer plus de phosphate provenant du sol.

Conclusion

Ainsi pourrions-nous dire que les craintes de certains collapsologues ou partisans de la théorie de l’effondrement sur le sujet se doivent d’être nuancées : nous n’avons pas connaissance d’éléments qui laisseraient présager qu’une pénurie de phosphore serait imminente. Nos ressources demeurent colossales, et les plus grands organismes scientifiques sur le sujet estiment qu’une pénurie n’est pas « imminente ». En outre, nous disposons de nombreuses possibilités de « recycler » le phosphore, dans le cadre d’une gestion plus durable de ce dernier : l’utilisation des urines humaines, notamment. Cependant, d’autres menaces pourraient encore peser sur l’agriculture mondiale. Comme l’aridification des sols ou encore la raréfaction du pétrole. Nous ne manquerons pas d’aborder ces sujets dans de futures vidéos.

Si vous souhaitez débattre du sujet, ou si vous avez des questions, n’hésitez pas à publier un commentaire. Nous répondrons à chacun d’entre vous.

Sources :

– https://www.ouest-france.fr/environne
– https://www.20minutes.fr/planete/envi
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Risques
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Phosphore
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Roche_p
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Pic_du_
– https://www.usgs.gov/centers/nmic/pho
– https://www.inrae.fr/actualites/lurin
– https://www.consoglobe.com/urines-pho
– https://blog.defi-ecologique.com/urin
– https://popups.uliege.be/1780-4507/in

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